31 poemes, la résistance inachevee

 


POEMESGUSTAU


SAMEDI 15 MAI 2010


LA RESISTANCE INACHEVEE




Hélène Larrivé


http://larrive.blogspot.com



Préface


Ces trente et un poèmes ont été écrits à partir de lettres retrouvées à la mort de ma mère, sur ses indications, de l’homme qui l’aima, mourut sous la torture entre le premier et le neuf Juin 44 au Fort Vauban d’Alès, dans le Gard et fut précipité ensuite dans un puits de mine désaffecté à Célas, à quelques kilomètres d’Alès,comme vingt-neuf (?) autres résistants par la suite. Il s’appelait Gustave Nouvel.


Cette recherche fut telle une pelote qui se dévide. Des rencontres exceptionnelles avec des résistants qui sont ici relatées sous forme poétique (comme les « Lettres à Lydie » parues il y a quatre ans l’esquissaient sous forme prosaïque) l’élargirent infiniment : lorsqu’on cherche, on trouve souvent… autre chose que ce qui était l’objet initial, souvent plus essentiel. La première partie de ce recueil (après le préambule adressé à ceux qui prônent l’oubli comme condition du bonheur) n’est que la transposition des écrits de Gustau. C’est donc Lydie, à travers celles-ci, qui est à la source de ma démarche -par la suite amplement infléchie-. En le lisant, un puzzle s’est emboîté: la deuxième partie est tirée de souvenirs anciens ressurgis à cette lecture

qui s’adaptent parfaitement. La troisième section est issue de rencontres de résistant/es -toujours en activité !- effectuées au cours de cette plongée dans le temps, qui l’ont bouleversée à chaque fois. Et la dernière partie a pour objet le présent, conséquence du passé rendu

vivant - expliqué et en partie, réparé – par la littérature, c'est-à-dire au départ, Gustau.


J’ai effectué ce travail à la demande du compositeur Thierry Morati en vue d’une adaptation musicale, avec l’aide et les encouragements réguliers de Nicole et Michel Jeury que je remercie ici, ainsi que Jeanne de Chantal… [et les critiques acides du poète Gérard Amate] donc entre

indulgence et sévérité -toutes deux extrêmes-. La poésie permet de dire plus, de franchir l’étape nécessaire de l’universel, sans effort, à partir du

particulier laborieux que représente la prose. Je remercie surtout les êtres exceptionnels qu’il m’a été donné de rencontrer et qui sont la racine et l’apyre de ce travail exaltant : Jeanne Boyer, Lisette Jannot, Josette Roucaute, Yvette Simon, André Bruguerolle, Jean Castan, Pierre-Albert Clément, Wilfried Nouvel, Magnan, Max Pascal, André Péchin, et le «guérilléro inconnu» - qui m’a été inspiré par Ange Alvarès- ainsi que tous ceux que je n’ai pas encore pu voir ou trop peu. Pour la suite… Hélène Larrivé







La résistance inachevée


31 poèmes d’histoire et d’amour au présent composé



… « Enfants nouveaux morts, sans avenir, sans passé… Les poètes un jour reviendront sur la terre… »

(Jean Noir)




Un homme, qui mourut sous la torture en 44, aima une femme et en l’attendant, lui écrivit… Sans jamais l’oublier, elle se maria ensuite et trois ans après, eut un enfant à qui personne ne parla de cette histoire jusqu’à ce qu’en 1999, à la mort de sa mère, elle trouve ses lettres. Cet enfant, c’est moi.






Préambule




A Gustau


Merci d’avoir aimé ma mère,

Autant que je l’ai aimée

Quoique d’une autre manière

Moi en vain. Et toi ? Qui sait ?

Gustau, mon frère,

Merci de t’être tu,

Merci d’avoir vécu,

…De l’avoir attendu,

De tant d’amour…

Comme je l’attendais

Comme je l’attends toujours…

Mais cette fois elle ne viendra plus.





La caméra


Mais pourquoi a-t-elle bougé ?

Toute seule, a-t-il semblé ?

Seule, c’est sûr ou je m’emporte ?

Non : c’est bien moi qui ai retrouvé…

Au Fort, sur la porte,

Son nom gravé.

Un mouvement involontaire…





Ode rageuse à un jeune poète ironique, un amour du passé



S’occuper des morts est futile dis-tu,

Voire imbécile… ?

Mais mon chéri, s’occuper des morts,

Comme tu dis, des morts sans corps,

Des morts disparus –totalement-

C’est s’occuper des vivants aussi,

D’un même mouvement…


De toi identiquement.

Car nous vivons d’eux, solidaires

Et enfouis,

Même toi, bâtard d’un prince et d’une

lavandière

Tutoyant la moulière des anges

Poussière de pur esprit…

-J’ose- : c’est fatal, tu manges,

Etudies, et, comme Clélia, ô Stendhal,

chies…

Comme ton aïeul Bertrand de Moulières,

(Putain que ça sonne) …

Et comme moi, te nourris

De ceux qui n’ont plus personne

Pour dire et écrire, en lettres d’or

S’il faut, leur shoah : ils sont en nous,

nécessaire

Et inaltérable décor,

Et ils auraient bien voulu,

Comme toi, vivre et vivre encore…

[Ceci est, bien sûr, une menace de mort !]

Pour les drones perdus que nous

sommes :

Leurs enfants…


Palindromes ! unique objet de mon

ressentiment…

Si tu fais une rime badine

Sur Gustau… je te ratatine.

… Noble Seigneur, roter dans la soupière

en mangeant

Main sur le giron -pansu ?- …

ô Madelon…

[C’est toi qui l’as dit, moi je n’ai toujours

rien vu…

Et te trouve toujours consommable]

Est ignoble, peu aimable…

Et pas glamour pour deux ronds.

A bon entendeur…





Le passé (40/44)




Attente


La joie et le bonheur, petite Lydie

En ces honteux moments de haine et de rage

Le sont aussi : vie tenace que rien ne décourage,

Vie sublime, vie chérie et honnie

A la fois. La joie et le bonheur…

Et, la mort peut-être, le danger sûrement,


Je le sais et tant j’ai peur…

Et tant je suis heureux pourtant.

Tant je suis heureux quand même,

Et tant je t’aime

Tant je vibre de cette violente amour,

De cette lame noire

Qui m’envahit et me noie,

Et dans un instant, dans un mois ou un jour…

Peut-être nous tuera.

Peut-être nous tuera.

Mais qu’il est lent cet instant

La libération ! toujours !

Mais qu’il est long, splendide et fulgurant

Cet instant qui enivre et blesse…

Et je l’attends et je t’attends.

Mon front à la fenêtre appuyé,

Si grande parfois est ma tristesse,

Si immense ma joie aussi,

Que je ne sais plus, petite Lydie,

Lequel de nous deux est absent.




Attente, encore


Je t’ai espérée une demi heure,

Ce n’est rien, ma jolie,

Mais en ces temps qui se meurent


Et demeurent pourtant,

Et qui bientôt seront enfui…

Ces temps de la peur, de la peine

De la démesure et de la haine,

De la joie extrême, aussi… c’est l’infini

Et me torture en vain. Où est-elle ?

Sur le chemin encore, sur la route déjà ?

Sur la route qui va, ô ma belle,

Dans un virage… et puis s’en va…

Vert de gris d’accrochage,

Imprévu impatient : du néant annoncé,

Ajourné, toujours tapi, le hideux visage

Qui nous guette à jamais…

Et tu es là, ma fiancée : fausse innocente,

Gemme vibrant. Et le joyau, la chair de ton

sourire,

Incisives -à peine- avancées… de plaisir me

déchire…

Et comme moi soupire la morose vallée, et

s’enchante

Et s’anime. Le temps s’est arrêté…

Je sais, tu n’aimes pas le mot,

Mais quel autre faut-il ?

Les mots sont futiles,

Ma jolie, -et un amoureux, toujours sot-…

Pour contenir, pour te dire,

–Presque-, si je peux, le sursaut,

De mon être aux abois, qui respire


Se serre et s’arrête et s’accroît…

Cette force qui grise, souveraine -et souterraine-,

Qui n’est ni mienne ni tienne peut-être, ni remise

Ni emprise,

Et les deux à la fois…




Attente, toujours


Ce matin, le ciel luit, après l’orage

Et le merle -moqueur ?- T’annonce, tout à l’heure…

L’oeil sur l’horloge, de tendresse et de rage :

- Après l’aiguille alanguie, à la fois pique et coeur-

L’aiguille immobile qui me fixe ironiquement,

Les cahiers gisants sur la table, je t’attends.

Les fractions m’indiffèrent.

Seules m’importent celles de l’instant qui me sépare

… Et se resserre imperceptiblement,

Et m’emporte encore, du son le plus beau de la terre,

-O temps maudit et béni de ton retard

Coutumier, adition de secondes et de

minutes volées…

Qui me hante, m’éprouve, m’épouvante et me réjouit- :

Le grelot, comme ta voix, enroué,

De ton vélo pourpre en bas sous les platanes…




Communiste


La faucille le marteau, ton étrave, ma belle …

Communiste éclairée -mais rieuse aussi-

A toute ordonnance, à toute entrave rebelle,

A tout protocole, toute sorcellerie…

Toujours…

Je sais : en ces moments sans répit,

N’est pas encore venu le temps de l’amour

De la vie simple et tranquille, des longs jours

D’été qui filent, doux et futiles, utiles et gourds

Mais justement : ces temps heureux, ma jolie,

Albe sur noir découpés,

Ces temps peut-être illusoires et proscrits

Fusains amènes au vent d’été envolés

C’est le temps d’aujourd’hui, de cette nuit même,

Le temps où je t’attends.




Dormir


Je t’aime et n’ai pas le droit

Je t’aime et j’ai peur de moi.

Ces instants perdus de la guerre


Ces lettres, à chaque fois brûlées…

— Ou sous terre ! —

Comme elles,

Reviendront-ils jamais,

Mon amour,

Nous bercer de leurs ailes ?

Et nous endormir enlacés ?

Pour toujours ?

Une fiancée en noir, rompue à jamais.

Joie unique et déchirante qui m’emporte.

T’aimer peut-être serait de te chasser,

Et, ivre de toi, fermer tout de même ma porte.

Au lieu de cela je t’attends et encore t’attends

Mourir de quelques heures. Ton rire…

De mon impatience, de ma tristesse aussi.

Un instant de plus, un instant encore

Petite, tu panses ma peine

Et l’accrois quand tu t’en vas,

Et j’ai si peu le temps que je t’implore…

Seulement que je t’aime

Et n’en ai pas le droit.




Irène


Et tu as dit oui ! Oui enfin !

Pour me bercer peut-être ?

M’endormir sûrement ?

A moi, à l’enfant à naître,

Sans répit, insistant…

Oui à la vie, oui enfin…

A la fin de la guerre,

A la fin de Mars en effet…

Mais ma jolie, ma damnée de la terre

Il faudra bien nous marier ?

Même ailleurs, disparus, ciel et père,

Vivent éternellement, enserrés,

Au coeur flamboyant et glacé

De cet apyre futile

Qu’on ne pourra t’ôter.

Et ça me plaît, je dois dire, que ce fil

De papier infini et insane, qui à jamais lie…

Encore et jusqu’au bout, officiel, paraphé …

Plus fort que la mort, plus subtil que la vie

Mon amour, mon amie,

Les lilas renaissent et épouse moi.





Pays de mine


Et fais ce que vouldras, petite Lydie

Car je dis oui aussi…

Oui au pays de mine, oui à Molières

Ma hussarde jolie,

Noire et tendre comme le fer

De la lance jetée… Et même l’enfer.

Si tu veux y brûler, y défier, y réduire

Le goût de l’immuable misère

Avec toi j’irai,

Avec toi j’irai panser, lire et dire,

Sans barguigner

Les larmes des damnés…

Allons, c’est décidé,

C’est donc là, sous un ciel lumineux

Comme on glose … (chez tes lettrés),

« Qu’enfin nous coulerons enlacés

Au milieu d’enfants roses… des jours

enchantés… »

C’est donc là que la dune, le sable et la plage

— En fait, ma petite, l’inaltérable crassier ! —

En ce pays amer, lugubre et glorieux,

Arracheront au vent de la mer, en creux,

Ton image

Inversée…


L’enfant de Mars ou d’Avril. Germinal

L’Irène du miel et des lettres

Ou des Barrières peut-être ?

Oui ma jolie : dans les temps, magistral,

Voici enfin venu le printemps des cerises :

La victoire, demain, aux yeux incandescents

Inexorable, bloc compact de terre grise

Et de feu et de cris et de sang.

Quelque part sur une plage, sur une anse,

Un mur de fer au loin, se mouvant en silence,

Attend.




Débarquement


Au loin, un mur de fer, se mouvant en silence,

Déchirure à l’horizon esquissée,

En ordonnance, inexorable… s’avance ;

Ciel et terre, inextricable mêlée

Une ligne hachée : illusion ou fracture ?…

Des cercles qui peu à peu s’épurent.

Et doucement s’assombrissent.

Et se dessinent… Et glissent et s’unissent…

Et dans l’aube qui point, gracile, légère…

Se laissant pénétrer, les vagues d’Eschyle,

Le sourire innombrable de la mer,

L’accueillent, filent, coulent et défilent

Et se fendent et s’élancent et l’engloutissent de

brume…

La victoire, comme Aphrodite, de la mer éprouvée

Demain, maintenant, tout à l’heure écrite, del’écume

De la faucille et de l’océan, ô ma fiancée,

Avec Irène naîtra. Et je te marierai.




Voile noire


Arrestations. Soir sans fin dans le soleil d’été

Naissant. La voile noire est hissée. Il ne faut pas

penser

-Pas encore ou à peine-

A ce qui, en ce moment même

Au Fort… Non, cela n’existe pas. Pas encore.

Et fuir : qui peut être sûr, sûr et certain

Dans son être et dans son corps,

Dans son corps surtout, et des autres et de soi

même ?

Espérance atroce. Et peut-être vaine…

La vie est là, sublime, abjecte, animale,

Qui ancre, persiste et tout abolit : résistance

Et même honneur. Vie mortifère, serre fatale :

Respirer, respirer encore une fois, pour

toujours…

Machine humaine qui dure, perdure et ne meurt,

Et veut durer encore, étouffée, pour… Pour…

Souffrir et durer encore, et périr de douleur…




Mai 44

Et si un jour


Et si le temps venait que je parte,

Ma belle, ma fiancée, mon amour

Et si le temps venait que je parte,

Te laissant seule sur le chemin,

Sans au revoir et pour toujours,

Il te faudrait tout de même,

Sans m’oublier, oublier ta peine

Le chagrin qui emmure et enivre

Le mien et le tien,

Et, mon amour, vivre, vivre, vivre,

Totalement…

Et de temps en temps

Peut-être, le soir, sous le tilleul


En tête à tête,

Me lire.

Seule …

Dans le silence de la nuit.




Le puzzle emboîté (Irène, à partir de 51…)



La pierre


Un souvenir enfoui, tout au loin

Une montée, et le soleil de juillet

La pierre. Et plus rien…

« Je voudrais aller… »

« Tu viens de dire

Quelque chose qu’on ne dit jamais

De méchant, de pire,

D’impardonnable,

Plus jamais nous n’irons, plus jamais… »

Mais où ? Sur ce lieu enchanté

Où il semblait errer

Doux et immuable,

Quelque chose de pire…

Que l’on ne dit jamais

Eternel et impalpable.




Peut-être


Et si longtemps après, si longtemps,

Les lettres… les mots violés et offerts

Et c’est là ! Là, exactement.

O étrange mémoire, fuyante et par éclairs…

Fulgurante et gluante: retrouvailles, mailles d’hier,

Rattrapées, retissées, fil d’aurore…

Qu’est-ce qui gît là dans ce clair cimetière ?

Une tombe, soit. Mais encore ? Mais encore ?

Le lieu où nous allions toutes deux en ces soirs…

Enchantés ! Le lieu de l’ombre et de la lumière

Le lieu des ténèbres et des sorts

Le lieu magique des fleurs de verre…

Où je la consolais en lui serrant la main…

O temps heureux pourtant de demain

O temps de ma mémoire…

Où je me suis rappelée qui nous allions voir…

Puis plus rien…




Une teinture fatale ou blessures collatérales (1954)


(Irène, 16 ans : air de Tosca : Vissi d’arte,

dans la salle de bain. Lydie.)


Et devant le miroir, rousse soudain, et joyeuse

En ce doux soir d’été

Vissi d’arte… Le soleil, la glycine rieuse

Le vieux tilleul enchanté…

Et une porte claquée.

Derrière, le commandeur souverain,

Statue de feu au masque de haine

Dressée, ange à l’épée enfreint,

Halluciné « Madeleine ! »

Sabre au clair,

Le chant s’est arrêté…

Silence de pierre.

Rage froide, enivrée.

Fulgurant éclair,

Qui à tout jamais l’abolit

Et dans ses yeux la fureur et le bruit.


Silence. Temps suspendu dans l’étreinte

Silence. Temps suspendu dans l’espace

Putain d’enfance. Putain d’empreinte…

Face à face, glace à glace…

Fin de l’acte. Une porte claquée…

Une autre, doucement entre baillée

Sanctuaire. Le tournoi recommence

Après la mi temps obligée :

Colère encore, et quelques lances

Légères… Et enfin le désespoir atone,

Etouffé. « Pardonne moi, pardonne ma folie »…

Fin de l’acte - litanie des démones

Berceuse du soir, chant noir de la mélancolie.

Aujourd’hui, elle ne s’est pas tuée et la vigne rosit

Et l’aurore aux doigts de fée fredonne

O Magali… Nuit exquise, nuit blanche,

Nuit d’amour, sous la lune qui luit …

Demain n’existe pas. Hier n’a jamais existé :

clenche

Abattue sur son rivet, barre inscrite dans la gorge.

Le songe abominable d’une si sombre nuit…

Il faut tailler l’hibiscus et reformer les branches

Et la source claire qui engorge

Le bassin étincelant sur la douce clairière

O Magali, le chant sifflant des sorcières,

De rage enfin s’est tu,

Demain n’existe pas encore… et hier… Hier ?

Hier, un orage : il a plu…

Ca a fait du bien à la terre.




Le rival (2003)


(Jean, 82 ans. Saint-Jean de Valériscles,

peu après la mort de Lydie.)


Un vieux monsieur à la terrasse, digne, retenu,

Au café, sur la place… veuf de trois ans (un soir

d’histoire…

Inattendu)... Dom Juan et Werther à la fois,

En deuil sobre, bien maintenu.

Chemise bleu de fer et veste de soie moire…

Et soudain, dans la noire lumière

De la vallée dormante, comme Lydie disparue,

Un mineur qui s’avance.

Gravement… Moqueur ou tutélaire ?

Les heures d’importance,

Toujours, arrivent sans en avoir l’air.

Joie et peine…

Tragique et futile de concert mêlés.

Sans mots inutiles : «Voulez-vous voir le portrait ?

A l’école ? » …. Silence… gêne…

Il attend.

Et ô stupeur, les yeux de Dom Juan s’éclairent :

«Oui !» Poseur ? Sincère ? Poseur sincère,

Sûrement…

«Venez.» Religieusement, dans son poing serré,

La clef du royaume. Enorme, mythique,

Herse de pont-levis, une clef d’avant guerre.

Sans se retourner, l’Ange traverse la route lasse,

Déserte-… Dom Juan, anachronique,

Hésitant sur ses traces

Un palier étayé, une grille de fer,

Exténués et austères, sur des murs lépreux.

Un sanctuaire pourtant…

Une salle de classe…

Et soudain face à face, deux amoureux…

Le vieux Werther se hissant,

Tendu, lunettes ajustées,

Et le jeune mort de papier,

Sombre, encadré d’or :

Son image traits pour traits.

Silence. Il se hausse encore…

C’est éphémère et c’est pour toujours

C’est pour toujours et c’est éphémère.

Temps suspendu, impalpable et sommaire, gourd

Et évanescent, qui s’enroule et se resserre…


Et il lit, lit et relit

Souffle court, arc bouté sur ses paumes au

bureau magistral,

L’exergue mortuaire.

Source claire et létale, de son rival

Silencieux, à jamais invaincu, qui le fixe, en

place…

Commensal usurpé… Un ange passe.

En cet instant d’histoire, mystique

Et solennel, -trois minutes à peine, et de

cinquante ans

Retardé-… mais d’histoire humaine, tragique,

Et vraie, s’est dit, en silence, sur les murs

décrépit

Et hautains à la fois, l’épilogue… à Lydie

Annoncé :

«Et si le temps venait

Que je parte, ma belle, ma fiancée

Il te faudrait tout de même…

Sans cesser de m’aimer pour autant,

Sans remords et sans haine…

Vivre, pourtant…»

Pèlerinage involontaire : le jeune mort et le vieux

vivant.

Parade duelle, sans armes, sans sonnerie. Epure.

C’est fini. Il s’essuie -discrètement-… se rétablit…

Dehors, le ciel irradie, apaisant et dur.

Dehors, le ciel irradie, apaisant et dur.

… Et pour vaincre l’émotion, honteuse et étale,

La larme de pluie perlant au bord de ses cils

pâles,

Son sublime réponds au silence des murs :

« En somme, c’est un héros local… ! »





Recherche de Gustau et rencontres



Josette


Des yeux en amande, très clairs

Dans un visage slave, souriant et amène

Et, sur la rétine imprimée, lointaine,

Et si proche, l’hiver de la plaine: l’hiver d’hier

Ravensbrück, une si longue nuit,

Ravensbrück, un fond de décor

Quotidien et pérenne, à jamais inscrit


Et qui dure, perdure et torture encore…

Ravensbrück : les appels, le froid, les pendues et

les cris…

Sommaire jeunesse. Vingt ans à peine achevés

Et lentement, s’écroulent les jours, les années,

Douloureux, inexorables

Sous l’espoir insensé

Et le désespoir raisonnable

Qui étrille et étreint et affouille, implacable :

La mort fauve qui rôde et érode

Et sur ordre, sans fin ni répit,

Chanfreine et engloutit …

Versatile, patiente, impitoyable,

De haine indifférente et sereine

Imminente, impavide et lointaine,

Vie après vie…

Et cherche et désigne et fond et s’abat

Et dévore, ça et là,

Au hasard picorant, comme par jeu, délicat,

Des proies et des proies encore…

Insatiable Minotaure…

Ce soir je vis toujours, pourquoi ?

Sur ma tête, l’épée n’est pas tombée

Et enfin dorment les reîtres, rassasiés…

Mais demain peut-être,

Dans quelques jours dans quelques mois,

Légère, sur le lac impassible…

En cendres anéantie, moi aussi je voguerai…

Faim, engelures, terre blanche de givre,


A la pioche arasée. Trois années ivres

Harassées, qui durent et perdurent…

Et pourtant disparurent,

Sacrifiées et invaincues

Qu’il faut crier.

Dette sacrée et nécessaire.

Car la bête abattue,

Dort… ou plutôt, du fond de sa tanière,

Veille… Et de l’indifférence, du silence volontaire

Ou de l’ignorance inculquée,

Partout s’éveille… et se rendort

Et veille encore…

Prête à crocher…




Jeanne


Une maison souriante, en retrait,

-Les maisons ressemblent aux gens-

Entre autoroute et voie ferrée,

Un cèdre majestueux -un cèdre du passé-

Un gros chien blasé qui, lentement,

Se lève, aboie… et se rendort aussitôt.

Et une très vieille dame, dans son lit,

redressée….

Une héroïne, en somme, puisqu’il faut bien un

mot…

Sot et sommaire il est vrai, pour dire – et réduire-

Un passé de guerrière, sans orchestre ni

appeau…

Et un présent de même…

Une femme frêle, à demi allongée…

… Qui a sauvé… ? Elle ne sait plus elle-même :

(«Je perds la mémoire, c’est agaçant »)

… Cent ? Deux cents ?

-Il faut compter pourtant, même si elle s’y refuse-

Proscrits. Une jeunesse folle, si l’on peut dire…

… Oui, il faut un mot pour écrire…

Les nuits… Les nuits où rode…

L’éternité : sens qui crépitent, heures qui s’étirent,

corrodent,

Allument et consument…

Les durs matins en vélo, les fausses cartes, les

armes, les ruses…

Infinies…

Et…

Et la mort. La mort de camarades, la torture -et le

puits-…

Et la peur… La peur toujours diffuse,

Raisonnée, lancinante. Mais aussi, la peur qui

égare et qui perd.

Etrave et entrave, de concert.

Trop est erreur ; trop peu, faute. Fatales à coup

sûr

Toutes deux. Prix de la commune survie, juste

mesure.

Létale balance…

Quatre ans : parmi les récifs, égale -et in

extremis,

- Un coup de pédale plus vigoureux, la chance,

aussi -

Elle s’est glissée indemne. Mais d’autres,

d’infinies souffrances,

A ses côtés tombèrent. -La torture, parfois, tue

petit à petit.-

Et elle est là, cinquante ans passés,

Souriant dans son lit redressé

Cinquante ans !

Dans l’angle de la fenêtre. Yeux malicieux,

Scrutateurs peut-être… marbre gris effilé, grave

et joyeux.

Bienveillants, amicaux. Et impénétrables pourtant.

C’est, au fond de la mire toujours inaltérée,

Immobile et mobile, un radar - amusé- à sa cible

-infaillible, sûrement-

Gustau, Henri, Lisa, ceux du puits

Et tant d’autres… qui parcourent, sondent, et

sourient

Paisiblement

A l’effigie et à travers au modèle -évanoui-,

Scanner en action, « on »,

Somme infinie et grêle d’un temps nécessaire et

inassouvi

Retard aboli d’envols arrêtés… Somme

Econome d’un présent passé arraché palpitant

Epars

En elle ressemblé… Ainsi devaient-ils jauger les

hommes,

Autrefois et d’un seul regard

A tout instant, lorsque la torture, la camarde

Le scorpion sous la lauze embusqué exigeait,

sans erreur, de détecter

A la seconde même, le dard sous le nard,

Le rai du fard…

L’espion du camarade.

………………………

Une cour joyeuse l’entoure de déférente amitié…

Croyant dire ce qu’il faut

Une pratique l’appelle «grand-mère» …

Grand-mère ! C’est trop…

Ou c’est trop peu. Grand-mère !

[J’ai laissé passer « Jeanne », sans y penser

… Et elle a dit « je préfère ».]

Et cinquante ans après,

Discrète, humble et fière,

Présence intense et retirée,

Dans sa maison - asile…

Son repaire,

Isolé !

-Celui de son enfance-

Ciel toujours ouvert

Et sans répit,

Aux banni/es en exil …


-Pas les mêmes… Et les mêmes aussi -

Elle règne toujours, guerrière immobile,

Sereine.

Le temps qui file,

D’immuables peines éternel retour

Est toujours celui du combat.*




Lisette


Une petite femme bien mise,

Frêle, immaculée, dans une maison ordonnée,

Jolie et polie comme elle. Plantes soignées,

Terrasse claire… piano…

Et qui chante à l’église,

Aussi, il le faut…

Et comme toujours, la stance du silence…

« Je n’ai pas fait grand-chose ou si peu,

J’étais si jeune… sans réelle importance :

Un courrier seulement… -Pas de feu-… »

Et démonter des mitraillettes, en attendant

Les réponses bien sûr ; dans le maquis

Il faut bien s’occuper. Forcément.

Et puis…


Les boîtes à lettres…

Tirer les tracts à l’usine à cinq heures…

Avant l’embauche… Là, j’ai eu peur

-Seulement une fois, deux peut-être-.

On ne se méfiait pas de moi, j’étais discrète

Prudente surtout…

Je n’ai rien d’une casse cou…

Et puis et puis… Lisette !

Tout de même ?

La torture et la mort ?

Oh, on n’y pensait pas alors,

Ou à peine…

Et j’étais leur mascotte : ils veillaient…

[Ainsi devaient être celles qui tombèrent.

Lisa, Hedwig… lances légères, précipitées]…

Et cinquante ans après, sentinelle embusquée,

Fragile et tenace, elle veille toujours :

Elle n’est pas sans armes… Et elle sait tirer.




Yvette


Elle aussi est celle qui se tait.

De peur peut-être

De… ? de paraître !

« C’est fini, c’est le passé.


Espérons qu’il revienne jamais. »

Une vaste ferme sans homme

A demeure. Une belle jeune femme brune aux

yeux bleus :

Et le labeur, réglé : maraîchage, épandage, tous

les jours, sous le feu

De Satan… Puis le soir, l’irriguage, quand du ciel

de plomb

Tombe, à peine, la canicule. Et, à l’aurore,

Les réveils courbatue, la traite, l’arribage…

Jusqu’au soir. Vivre, survivre, tenir… et encore ?

Et encore… résister !

Elle a caché juifs et proscrits, sans hésiter.

« C’était commode, on est assez isolés » :

[Les fenils, les hangars, un dédale encombré…]

« Qui serait allé les chercher là dedans ?

Puis on voit de loin, au flanc,

De la montagne… Et on peut fuir...

Oh, ils étaient bien obligeants,

Et surtout pas difficiles : ils aidaient. »

Un fourreur parisien, malade et âgé ?…

« C’était… comme il pouvait… -rire

Tout de même !-

Je n’avais pas de peine,

Ils mangeaient… Ma foi, ce qu’il y avait…

Patates et rutabagas, mais quoi, c’était la

guerre… »

Une vache au maquis, le village traversé, la nuit ?

Fernandel avant l’heure ?… Elle sourit.

« Il fallait bien, c’était nécessaire :


Ils avaient si faim eux aussi… »

Sans parti, sans religion,

Et peut-être même sans foi,

-Juste une femme d’exception- :

Lorsqu’on lui demande pourquoi,

D’un air surpris, elle répond :

«… Parce qu’ils étaient poursuivis

Quelle question ! »

[Elle n’a aucune décoration. Un oubli ? Non.

«Qu’on me laisse tranquille, avec ces histoires».]




Jean


D’abord il est beau et il le sait, ma foi,

Toujours. Raide, un peu altier,

Acerbe et bon à la fois

Une pose ? Des rhumatismes ? Qui sait ?

Militaire en un mot. Et surtout résistant :

Pléonasme ou difficulté ?

Pléonasme autrefois… A présent…

A présent les temps ont changé.

Et parle en termes techniques, sages,

Clairs et concis : mathématiques. En militaire :

Engagement, stratégie, erreurs à ne pas faire,

Longueur de tir, parabole… métrage…

Erreurs coûteuse d’hommes

Bravoures sans objet, hâtives, en somme,

Florilège sacrificiel et sacrilège.

Et lit et rectifie : être fusillé ou mort au combat,

Irène, c’est tout autre. Le combattant ne sait pas.

Le condamné, si. Et il imagine : -à l’infini,

A tout instant, étranglé, en transe. Il attend.

Attend et entend sans cesse. Et tressaillit,

Et vibre : à chaque pas, chaque cliquetis…-

La maladresse qui, dans le sable rougi,

Lentement, si lentement, blesse sans tuer,

Et, de négligente horreur, laisse inachevé,

A l’agonie, un corps qui palpite encore…

Et soudain dans ses yeux -hautains ?

Un peu-, la morgue a disparu…

Et badine et s’amuse, aussi… ou le feint.

(Car ces histoires sont effroyables)…

La vie, la vie tout simplement, continue.

Il rit. Consommable ?




Le sang des pierres

ou l’homme qui se tait


… Il est celui qui passe et jamais ne dit rien…

Son corps parle pour lui ? Non. - Ou à peine.-

Et parle pourtant, mais de choses mondaines :


Littérature, études… Un classique, il est vrai.

Que, tout de même, il pousse au point…

D’en rire : c’est au hasard qu’on perçoit, de côté

Quelque chose, peut-être ?… Ou peut-être rien

Et après coup qu’on apprend, qu’à vingt ans,

Avec trois camarades, il sauva de miliciens

Ivres de vengeance, une mairie libérée

Dans l’urgence, spontanément.

Cela prit peu de temps et n’eut rien d’une

séquence.

Il n’y avait pas de musique : ils ouvrirent le feu.

La riposte, immédiate : trois secondes déchirant

le silence

D’un pont de voie ferrée endormi. Un combat

victorieux,

Sans même le temps d’avoir eu peur…

Un combat qui, au cinéma,

Eût été peu vendeur.

Lorsque tout fut fini, [c’est à dire les tueurs,

Sur le rouge bitume, grenats allongés,]

La pierre du pilier elle aussi saignait :

C’est alors qu’il le vit : il n’avait plus de bras.




Wilfried, la baraka


Une maison de mineurs, au fond de la vallée

Une maison d’autrefois, pauvre et belle, nichée,

Sous la colline pierreuse, du feu

De l’été protégée. Un vieil homme aux yeux

bleus.

Costaud, vif et riant, un instant passé,

Et son amie espagnole, un peu étonnée…

Lui parle : de la faim surtout, et ensuite des

maquis,

Il était si jeune, pensez… et de grand appétit !

Quand on travaille, n’est-ce pas, il faut dire…

Et semble encore avoir faim d’y penser

… Et l’oeil en coin, écoute, surveille… le frichti

Qui, sur l’antique fourneau à cuire

En rythme, doucement.

Clapote à son récit…

Dix sept ans, la faim, les engagements…

Et, sur un petit chemin -chargé- ! l’horreur : deux

képis.

Insultes, coups, cris -simple avant goût… de la

suite, au Fort-…

Deux gendarmes en tout : un seulement à midi.

Le sort !

- Et une heure après, le transfert, la torture et la

mort - :

« Frappe-moi ! Il me faut des marques, et pas

feintes…

Vite. L’autre va revenir. »

C’était le bon qui était d’astreinte.

La baraka.




Au guérillero inconnu


Il y a ceux que l’on pleure, qui ont des noms de

rues…

Et ceux -des étrangers, souvent-

Qu’on a oublié,

Ombres frêles, pathétiques et nues,

Innombrables et éperdues, de gréants

Sacrifiés

Sur des stèles solitaires, anonymes et laconiques.

Pas de noms sur des murs, pas de tombes

altières,

Qui demeurent et surplombent.

…Des cénotaphes cachés, parmi le thym ou la

bruyère,

Illisibles, sommaires, à demi étouffés…

Mais même la pierre martelée, sous les doigts

effleurée,

Et aveugles, parfois laisse à peine deviner,

peindre,

Saluer et étreindre,

En creux, les lettres des hommes, des amoureux,

Disparus, mystérieux.

Mort au combat, mort fusillé

Dans les parages peut-être. Gloire fatale et

pesanteur,


Révérence abstraite et distale d’un rivage qui

n’était pas le leur…

… Et des enfants qui, cinquante ans après,

Parfois, cherchent et cherchent encore, qui un

père, qui un aïeul…

Zurita, Mandran…

«Il a fui l’Espagne et s’est engagé…

Il avait vingt ans…

Mon père est né juste après… »

Ode éternelle, ode de sang… Ode inconnues :

«Communiste, anarchiste ou rebelle,

inorganisé…»

[Comme on dit !]… de Guernica au Perthus,

De la retraite aux maquis : envol inachevé d’un

amour attendu…

Endurance inouïe de sagas ordinaires :

« Evadé des camps de la mer,

-Où, sur la plage d’hiver oubliés, réfugiés,

Orphelins, solitaires,

De faim, de froid, d’indifférence, en silence

s’éteignaient-

Sans rancune, il pris les armes à nouveau

Pour défendre… des mêmes bourreaux !

De la même lame, le pays versatile à son tour

égorgé…»

Quête nécessaire, tenace et familière : « Et on

perd sa trace»…


Pas de prénom parfois, ou des noms de code qui

effacent

Sur l’épitaphe indécise, l’âme de chair qui en

nous vibre

Encore, de lui.

Là est tombé, là a disparu,

Sans épopée, sans amante pour le lire, le dire

Et le publier, dans l’endure d’été qui languit et

abolit,

Un jeune homme inconnu

Un amoureux, un père peut-être, un fils,

sûrement, parti

Un soir d’hiver, sa musette sur le dos : « A

bientôt,

Mes camarades, mes amis » guérillero, comme

on dit

… Et qu’on n’a jamais revu.

Les corps ne portent pas les noms qui les

emportent

Et les fleurs déposées sont celles de tous les

champs…




Résistants, héros : des femmes, des hommes… aussi


Ils ne sont pas parfaits, comme dans les romans.

Ils ont combattu - on leur doit la vie, on l’oublie

souvent -

Et parfois en sont morts

- Et de quelle manière ! -

Ou blessés. Et souffrent toujours, corps

Rompus - fardeau persistant d’une vie entière,-

Qui, avec le temps, encore et encore

S’aggrave : la torture ne cesse pas avec le

bourreau

Mais avec la victime.

Des héros ? oui, faute d’un autre mot

Mais des femmes et des hommes, aussi.

Intimes.

L’un est, veut être, le meilleur,

Enfin presque. Et qu’on ne l’oublie !

[Mais sans honte, il avoue sa détresse, sa peur.

Et la raison… de son inébranlable

Courage : le coeur !] L’autre, infatigable travailleur

Fut aussi, dit-on, pour les petites mains,

redoutable,


-En somme, humain, ou plutôt masculin ! -

Une autre… a mauvais caractère ;

C’est ainsi, que faire ?

Une troisième fut et est parfaite, âme et corps,

Encore ! [Mais ses enfants ne sont pas tout à fait

d’accord :

Mère et héroïne font parfois une émulsion…

immiscible !]

Et une enfin, combattante légendaire, un peu

courbatue, cible,

Désabusée et amusée, les artistes expansifs et

puérils (?)

Qui imaginent et embellissent, fantasques ou

vains,

Et passent, et écrivent, et martèlent, roche et

clavier…

Implacables Tarasques… futile levain… (?)

Mais n’est-ce pas -presque- le seul moyen

De faire vivre, pour tous ceux qui ne sont plus - et

qui sont-,

Un passé soustrait ? De défier la mort et le déni

qui rôdent ?

Sans Goya, se souviendrait-on des horreurs de

Napoléon ?

Et de l’Espagne, sans Guernica ? Manipulations ?

Maraudes

De peintres, d’aèdes visionnaires… ou

doctrinaires ?

Il est vrai. Parfois, peut-être :

Comme l’Histoire, apprêtée à la sauce du maître,

Du maître du moment, toujours… Et un autre

encore,


Fils d’ouvrier espagnol, histrion truculent et

généreux

N’est pas… insensible !… aux breloques dont on

décore,

Confondus en un sac, héros véritables et pantins

en toc : jeu…

De rôles, revanche frivole… Du soir de la retirada

aux feux

Dérisoire des planches, ivresse joyeuse d’un

enfant empêché,

Et pourquoi pas, si tant cela lui plaît ?

La perfection ?

Mais la perfection est inhumaine et, pour tout dire,

Déréliction.

Hautaine :

En enfer, il n’y avait pas que des saints.

Il est bon qu’ils soient, pour le meilleur et le pire,

-Mais bien plus souvent le meilleur -

Comme nous, des êtres de sang, d’os et de

sueur…

Et même de haine : des êtres qui respirent !

A la fois poussière de lac et primordial viatique …

Pour les retenir, les transfuser peut-être, juste

retour des choses…

La perfection ? Un idéal - historique - et

romantique

Une comptine rose,

Rose bonbon.

Pour jeter sur des canons, des enfants ceints de

bandeaux.




La guerre inachevée



Premier Juin 2007 !

Répétition


Ca ne peut être un hasard… Gustau !

Ou c’en est un et je m’emporte encore ?

Les inscriptions,

Cette pierre percée, devant la porte

De ta tombe sereine…

Et hier ces minimes catastrophes

Parce que… non, pas parce que

Je ne sais pas, je n’ai pas le droit…

Mais le fait est.

Le fait est que je l’avais oubliée !

Je ne sais pas, non, mais ce fut…

Une panne, rien de sérieux…

Et puis cet épillet fiché

Dans ma gorge, qui m’étouffait…

Je sais, j’ai lu

J’y ai pensé soudain, en me penchant,


Les quelques mots laconiques

Du rapport des gardiens…

Quelque chose fiché, hélas,

Un os sans doute,

Dans ton palais :

Tu es mort étouffé.

J’ai encore un peu mal

- On me l’a ôté-

Et ça me fait du bien…

De penser que tu me dis

Peut-être, quelque chose.

Mais quoi ? Je m’emporte encore…

Sans doute. Mais ce fut.

Pourtant !



Anniversaire


Ce matin, c’est la fête. Au village.

Couleurs de marché, musique d’orage,

Gaie pourtant. Cris et chalands.

Joie de jeunes gens qui passent et repassent…

-Lentement-…

Surpris de se croiser…

Et du regard, s’enlacent


L’espace d’un instant,

A chaque tour augmenté…

Hâble invariable de l’amour et du hasard…

Abaque et amarre

Appontée. Les garçons au tir, tendus,

Dans la glace des baraques aux peluches dorées,

Et les belles, de soie légère étendues,

Nasse distraite aux terrasses blasées…

Jambes et seins haut croisés

Pourtant : des jambes publicitaires.

Et riant fort soudain :

Un heureux, un lauréat -un élu -…

(Principal ou secondaire)

Contemplant en face le temple hautain

Peut-être, n’a rien aperçu

Des deux…

Et s’étonne, et les rejoint

Heureux.

Ce matin à six heures, dans l’aube claire,

Gustave, avec Lucien, a été précipité dans le

puits de la mine…




Blessures de murs ou chanson après boire


Le tilleul immuable, -non, vénérable- :

Un ancêtre distant, hiératique

Qui de ses fleurs parfumées endormit

d’innombrables

Pratiques… Le destin. Baume

Familial, protecteur et altier

Témoin silencieux - et las - de la folie des

hommes,

Barbaries centenaires, comme lui

inachevées…

Et la maison engourdie, vide. Forteresse

De murs lourds et sommaires, d’écurie. Voûte

épaisse

… et la trace en leur sein d’un coup de feu raté.

Un combat ? Non. Une maladresse :

Un maquisard -le «matelot»- un peu éméché

Et joyeux, nettoyant son arme…

Chargée !

Branle bas d’alarme, fuite rapide.

Les murs ont étouffé le vacarme,

Et l’arbre factionnaire, impavide,

Branches déployées


Ondoyant sous la brise levée,

Enfermé la lumière des ombres…

Et les voisins appliqués, continué de dormir

Du sommeil des « Justes ».




Finale


Il serait si doux de pouvoir dire

Quelque chose à quelqu’un

Quelque chose qui étouffe et se livre

En vain peut-être, de si loin venu,

A tous ou à un seul, inconnu.

Il serait si doux de pouvoir deviner

-Même à peine susurré-

Un « je t’aime » ou « va en paix »

Mais… cela n’est pas… C’était avant.




Dégâts collatéraux


Ne pas exister… ne pas être,

Ou être, si l’on veut, mais empêché…

Sans droit ni loi : enquestre,

Sans balise ni regard : renié…

Solitaire…

Enfant de la guerre, comme on dit,

De la tragédie, de la haine,

Trop tôt né… et trop tard aussi…

Et pourtant… vivre tout de même…

Ou faire semblant, puisqu’il le faut,

Transparent : d’autres en profitent,

Et le cercle enfin est bouclé : l’eau,

Lisse et glauque, en silence, ingurgite,

Indifférente, le petit galet

Un si bref instant suspendu,

Qui, lentement coule, inachevé.

Sans auréole : abattu

Sans combat. Et indemne pourtant

Qui, abîmé, enfoui, attend.



Epilogue


La fin de la nuit



Et c’est la fin de ce voyage,

Dans l’espace et le temps consort,

L’un entraînant l’autre, sur le rivage

Accosté : la paix… L’oubli et la mort

Duels vaincus ? Non : un puzzle emboîté

Dont nous sommes faits sans le savoir,

Réponds attendu d’un passé de bure,

D’un grand soir inconnu d’aventures

Qui en chacun et en tous, matin et soir

A l’envi d’une vie lente et dérisoire

Vibrent et forgent sans le dire jamais

Une histoire… et l’Histoire,

Grains à grains, d’airain et d’iris,

Salle de bal et puits de mine.

Pixellisée. Sédimentée.

Dure et belle, terrifiante et sublime

Et nous ont, et permis,

-Particules infimes et infinies-

Et empêché à la fois, d’exister.



« Tout s’écoule » et l’histoire est un éternel

retour. (Héraclite.)






* Note de la p 2 et 28 (sur Jeanne Boyer).

 Jeanne, à 90 ans, s’occupe toujours, avec sa fille Jeanine Boyer-Rousseau d’un foyer d’hébergement d’urgence dans un secteur difficile d’Alès, foyer actuellement pris entre les feux croisés de jeunes délinquants du quartier -qui l’ont récemment incendié- et certaines administrations souhaitant le voir fermer et qui d’ores et déjà lui ont retiré les subventions sans lesquels il ne pourra subsister longtemps. D’autres en revanche, (la CAF), le soutiennent : il recueille, prend en charge et remet sur le chemin de l’existence des gens que la vie (et, lorsqu’il s’agit d’étrangers, souvent, laguerre) a abîmés, qui sont parfois à la rue, et qui, à bout, pourraient dériver. Il rend donc service à tous. Ces tracas infinis l’occupent entièrement. Des lettres, bouleversantes, de résidents (kosovars réfugiés, femmes avec enfants ou adolescents en situation de grande précarité etc…) adressées à la Mairie seront ultérieurement publiées par HBL. Un très jeune homme, par exemple, écrit sobrement : « depuis que je suis au foyer, je ne fume plus et ne vole plus… » ! Mais la plus courte et la plus signifiante des suppliques provient d’une jeune fille en fuite qui dit simplement ceci : « sans le foyer, je serais morte… Ne le fermez pas s’il vous plaît.» Oui : la résistance continue et le temps présent est toujours celui du combat, pour Jeanne comme pour la plupart de celles et ceux cités ici. Soixante ans après, les luttes se ressemblent … et les combattant/es sont les mêmes !



Fait à Saint Ambroix, le 1/1/2998, Hélène Larrivé



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PUBLIÉ PAR HÉLÈNE LARRIVÉ À 17:43    :  

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