La vie des paysans, la bouillie

 La bouillie faisait vivre 5 ou 6 personnes pendant une semaine.

Tillières-sur-Avre, Eure, 1709.

"En 1709, tout le monde se souvient de l'épouvantable hyver qui mit la désolation dans tous les pays par la cherté du blé qui fut vendu jusqu'à cent livres la somme, c'est-à-dire 20 livres le boisseau.

Cette cherté de blé vint de ce que les bledz furent gelez de sorte quon nen recueillit cette année là que pour semer.

Au reste, quoique le blé fut fort cher et même plusieurs années de suite, il faut avouer qu'il n'y eut point de famine, c'est-à-dire cette maladie qui accompagne assez ordinairement la cherté qui consiste en ce que plus on mange et plus on est affamé.

Les pauvres gens vivoient de peu. Deux livres de farine de pois ou de blé sarrazin faisoient vivre cinq ou six personnes pendant une semaine moyennant qu'ils faisoient de la bouillie avec cette farine et de l'eau. Mais quoique cette cherté ne fut pas accompagné de famine, elle ne laissa pas de causer en 1710 bien des maladies qui désolèrent les villes et les campagnes et firent mourir bien du monde, et ce qui est remarquable, plus parmi les riches qui n'avoient point souffert de la cherté du pain que parmi les pauvres.

Les pauvres étoient attaquez de la maladie comme les riches mais il en mouroit moins de pauvres que de riches ou pour mieux dire, les pauvres guérissoient plus facilement.

On a remarqué dans la ville de Chartres entrautres que les pauvres attaquez de la maladie se trainoient comme ils pouvoient ou se faisoient porter devant leur porte où ils se couchoient sur le pavé, exposez au soleil, et cela les guérissoit, si bien que des riches, que les soins et les remèdes ne guérissoient point, firent découvrir leurs maisons pour s'exposer au soleil comme les pauvres, dans l'espérance d'être guéris comme eux par ce remède innocent, mais ils n'en mouroient pas moins.

Mais en raportant ce fléau terrible de l'hyver 1709 et de ses suites, il semble que ce seroit manquer de reconnoissance envers le Seigneur si on passoit sous silence le moyen admirable dont sa divine providence se servit pour secourir son peuple et l'empêcher de périr par le défaut des bledz qui étoient gelez et pourris dans la terre, c'est l'abondance des orges que Dieu donna cette même année 1709 à la place des bledz et l'anne suivante.

Au mois d'avril 1709, comme on s'apperçut que les bledz ne poussoient point mais qu'au contraire ce qui avoit paru d'abord disparoissoit de jour en jour, les personnes les plus attentives prirent résolution de faire semer de l'orge à la place des bledz et en semèrent effectivement, d'autres suivirent leur exemple.

Chacun s'empressa d'achetter de l'orge, ce qui le fit monter jusqu'à neuf ou dix livres le boisseau.

On ramassa tout ce qui se trouva d'orge dans les greniers, vieux et nouveau, on sema tout et tout leva (poussa). On en sema non seulement à la place des bledz qui avoient été bien semez et bien labourez, mais on sema dans des guerets après le premier labour sans fumier, d'autres en semèrent dans leurs jardins, tout leva et monta d'une manière admirable par le moyen d'un tems frais et des pluyes qui venoient de tems en tems, de sorte qu'on vit aux mois de juillet et d'aoust les campagnes où on avoit semé de l'orge, aussi garnies d'orges et des orges aussi forts et aussi grands, aussi hauts que les froments ont coutume d'être.

Ces orges avoient des épies longs comme la main. La récolte ne se fit que quatre à cinq gerbes d'orge au boisseau.  Cela produisit une récolte abondante et admirable d'orge qui tint lieu de blé et qui servit à faire du pain, non seulement pour les pauvres mais pour bien des bourgeois. Il n'y eut que les riches qui mangèrent du pain de blé cette année là".

AD Eure, registre paroissial de Tillières-sur-Avre, 1709.

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